NEW DELHI CORRESPONDANCE
"Accepterais-tu de prêter ton ventre à un couple d'Américains ?", a demandé Rajesh à sa femme, un beau matin, dans leur petite maison située dans un village du Bihar, une des régions les plus pauvres d'Inde. Puja crut d'abord à une plaisanterie. "Comment veux-tu que j'accouche d'un bébé blond aux yeux bleus ?", lui a-t-elle répondu en ricanant. "Désormais, la technologie peut faire naître un bébé à partir de n'importe quel ventre", rétorqua son mari. Quelques jours auparavant, cet infirmier venait de lire dans le journal cette petite annonce d'une clinique de New Delhi : "Couples étrangers cherchent mères porteuses." Grâce à la technique de la gestation pour autrui, l'embryon conçu par un couple peut être implanté dans l'utérus d'une femme chargée de mener la grossesse à terme. En Inde, 3 000 maternités offriraient ce service. Le pays est l'un des rares à en autoriser la pratique commerciale. Choquée à l'idée que "la technologie puisse mettre au monde des enfants", Puja hésita. Avait-elle le droit de refuser ? Lourdement endetté, le couple pouvait difficilement renoncer aux 2 500 euros offerts par la clinique. Invoquant le mythe du conte épique indien Ramayana, Rajesh rappela à sa femme ses devoirs : "Lorsque le dieu Rama a dû se réfugier, seul, dans la forêt, pendant quatorze ans, Sita a bravé tous les dangers pour le rejoindre et remplir son devoir d'épouse." Quelques semaines plus tard, Puja et son époux partirent s'installer avec leurs enfants à New Delhi.
La famille occupe désormais un deux-pièces exigu, loué 60 euros par mois, dans la lointaine banlieue de Delhi, où les maisons de brique, construites à la hâte, battent en brèche les derniers remparts de végétation. C'est la première fois que Puja vit loin de son village. A 24 ans, celle qui a déjà accouché de deux enfants portera bientôt l'embryon d'un couple de producteurs de cinéma d'Hollywood. "Le Bollywood des Etats-Unis", s'exclame Rajesh, qui aimerait vaincre les dernières réticences de son épouse. Le couple recevra près de 130 euros par mois de grossesse et 1 000 euros à l'accouchement. Toutes les semaines, ils ont rendez-vous chez le docteur Gupta pour des tests médicaux.
En plein coeur de New Delhi, la clinique se repère facilement grâce à sa pancarte, "Lieu de naissance de la joie", et aux dizaines de sandales entassées au pied de l'escalier. Dans la salle d'attente, les patients, pieds nus, ne quittent pas des yeux la comédie romantique diffusée à la télévision. Ici, les ovules et les spermatozoïdes font l'objet d'une attention particulière. "Vous êtes priés de ne pas utiliser de parfum, ni de lotion après rasage. Ces odeurs sont mauvaises pour les ovules et les spermatozoïdes", avertit une pancarte, placée à côté de Ganesh, dieu de la prospérité.
Le docteur Gupta est un "spécialiste de la fertilité", comme l'indique sa carte de visite. Chaque mois, il reçoit, trente demandes de couples étrangers. "Ici, les femmes ne trompent pas leur mari. Elles ne boivent pas d'alcool, ne fument pas et ne se droguent pas. Elles sont en excellente santé", affirme le docteur. Face à lui, Puja, le visage creusé par les cernes, a les mains crispées sur le tissu bleu de son sari. Elle doit attendre encore quelques semaines avant de recevoir l'embryon du couple américain, le temps de terminer l'allaitement de son dernier enfant, âgé seulement de 8 mois. Le docteur Gupta tente de la rassurer : "Nous avons en Inde les mêmes technologies qu'en Occident et nous sommes aussi compétents."
Après l'informatique, les grossesses se délocalisent en Inde. L'opération, qui peut coûter en Inde jusqu'à 20 000 dollars (13 000 euros environ), est cinq fois moins chère qu'aux Etats-Unis. Des agences se sont même créées dans le but de recruter des mères porteuses. A Anand, une petite ville de l'ouest de l'Inde, une clinique a construit une résidence pour loger, durant leur grossesse, les mères, qui ont la possibilité de suivre des cours d'anglais et d'informatique. Pour porter le bébé d'un couple étranger, rien n'est plus simple. La "clinique de la fertilité", à Bombay, propose sur son site Internet un formulaire de candidature. La postulante doit avoir eu au moins un enfant et répondre à une série de questions, dont celle-ci : "Dans le cas d'une malformation, accepteriez-vous un avortement ?"
Les demandes de couples étrangers auraient quadruplé l'année dernière. En l'absence de régulation, ce nouveau "marché", évalué à 450 millions de dollars (près de 290 millions d'euros), est en pleine croissance. La seule protection juridique à laquelle peut prétendre Puja tient dans les quelques pages de son contrat signé avec le couple américain. L'essentiel concerne le mode de rémunération. En cas d'accident ou de malformation du bébé, les clauses restent allusives. En Inde, les seules directives, données par le Conseil de recherche médicale indien, un organisme public de recherche, sont jugées insuffisantes par les défenseurs des droits des femmes. La section 3.10 recommande, par exemple, que l'âge maximum légal soit fixé à 45 ans. L'âge minimum légal n'est même pas mentionné.
"Et si la mère meurt à la naissance ?", s'interroge Bhavana Kumar, coordinatrice au Conseil national des femmes. "En l'absence de loi, les mères porteuses s'exposent à tous les dangers", conclut-elle. En Inde, la pratique de la maternité par substitution n'est pas nouvelle. "Il arrivait qu'une femme porte l'enfant de sa soeur, stérile. Mais on restait dans le cadre familial. Désormais, le corps peut être exploité commercialement. C'est la porte ouverte à tous les abus", avertit le docteur Girija Viyas, la présidente de la Commission nationale des femmes. Récemment, la commission nationale a recueilli le témoignage d'une femme qui, après avoir accouché sept ou huit fois, aurait rencontré de sérieux problèmes de santé.
Le 25 juin, la ministre indienne des femmes et de la protection de l'enfance, Renuka Chowdhury, a promis le vote d'une loi au cours des dix prochains mois. Il n'est pas question d'interdire la pratique commerciale, mais de mieux la réguler. "Nous ne voulons pas que la maternité par substitution devienne un commerce d'organe, sans entrave. L'Inde en est devenue un pôle d'attraction à bas coût. Nous devons mettre en place un organisme régulateur", a précisé Mme Chowdhury. La loi devrait prévoir notamment un accompagnement psychologique pour la mère au moment de l'accouchement et une limitation du nombre d'accouchements pour autrui. L'âge légal pour une mère porteuse devrait être compris entre 22 et 45 ans.
Même si une loi est votée, les couples étrangers ne seront pas tout à fait protégés, ajoute le docteur Asha Jaipuria, obstétricienne : "Qu'est ce qui peut garantir aux parents que certains de leurs ovules ou spermatozoïdes ne seront pas conservés pour être ensuite revendus à des mères indiennes désirant avoir un bébé au teint clair ?"
Julien Bouissou
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2008/08/04/les-meres-porteuses-un-creneau-indien_1080048_3216.html
2008-08-04
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1 commentaire:
Article troublant. Il convient de rappeler que pour une procédure de gestation pour autrui, il ne faut pas passer par une maternité, mais par une clinique de la reproduction, seule organisme capable de pratiquer la fécondation in vitro. Aux USA, pays le plus avancé en la matière et au niveau de vie médian des plus élevé de la planète, il y a moins de 300 cliniques de ce type. Alors, selon l'article cité, il y aurait en Inde, pays où le niveau de vie médian est très faible, il y aurait 10 fois plus d'organisations qui proposent la gestation pour autrui ? Ce n'est pas crédible ! Que veut-on nous faire croire, alors ?
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